De la porosité à l’œuvre, Camille Rocailleux/ Thomas Guerry : Arcosm

D’Echoa à Bounce, dernier spectacle de la compagnie créé le 14 novembre  à Albertville, revenons sur le travail spécifique de la compagnie. Entretien réalisé en mars 2013 à la Maison de la danse de Lyon.

Echoa, Cie Arcosm, crédit photo Arcosm tous droits réservés.

Camille Rocailleux (CR) vous êtes musicien, Thomas Guerry (TG) vous êtes danseur- chorégraphe et ensemble vous avez créé la compagnie Arcosm. La spécificité de vos spectacles c’est de réussir une symbiose entre la musique, et la danse voire le théâtre. Comment travaillez-vous pour obtenir ce résultat ?

TG : avant chaque spectacle,  nous nous donnons beaucoup de temps de réflexion Camille et moi. On a une boîte à idées et on échange surtout à partir d’images, de moments visuels forts pour chacun de nous et de nombreux aller-retour de cette boite à idées avant de se rencontrer physiquement.

CR : on part aussi souvent d’un postulat ou d’une thématique qui nous touche et que l’on voudrait aborder. On n’est jamais dans le narratif mais on a besoin d’un fil conducteur pour nous guider.

TG : c’est toujours ainsi qu’on commence un projet. Ensuite pour travailler musique et danse, on a trouvé une manière d’écrire qui n’est jamais systématique. Parfois la musique influe beaucoup sur la danse, parfois c’est l’inverse mais on essaye de trouver une façon d’écrire qui fait que la musique et la danse s’imbriquent complètement. Ce n’est pas une science exacte et parfois on se lance dans des chantiers qui sont plein de contraintes.

CR : c’est aussi une histoire de tempérament parce que dès qu’on sent qu’on se met à réutiliser des recettes qui marchent, on sait que ça ne va pas nous plaire et on essaie de bifurquer pour se re-surprendre et essayer de trouver d’autres manières d’approcher la matière.

TG : on essaie d’être toujours inventifs et de partir des interprètes qui travaillent avec nous, on essaie de sentir là où ils sont bien, là où on les aime. On écrit aussi en fonction de l’interprète.

CR : c’est souvent du sur-mesure.

TG : on passe par des phases d’improvisation et on réduit petit à petit le champ pour aller au final vers de la précision. Ce n’est pas une écriture qui enferme mais qui ouvre, avec toujours notamment la notion de personnage qui donne une grande liberté. Personnellement je me dirige de plus en plus vers la danse-théâtre parce que c’est ce qui me parle, ce qui m’émeut et c’est aussi par là que je vais toucher les musiciens. L’utilisation d’intentions, de gestes du quotidien est un bon moyen pour aller dans le mouvement dansé pour des non danseurs. La danse-théâtre permet aussi d’équilibrer le rapport entre danseurs et musiciens.

Echoa, Cie Arcosm, crédit photo Arcosm tous droits réservés.

CR : quand le musicien danse, il danse vraiment parce qu’on a travaillé dans ce sens-là. Ce n’est pas un patchwork, on travaille sur la transversalité. Faire bouger une chanteuse lyrique, un comédien ce n’est pas si simple. On propose au musicien qui n’a jamais dansé d’aller dans un vrai travail chorégraphique et inversement au danseur de travailler sur des rythmiques pointues.  C’est un vrai travail de fond que l’on fait dans chaque création pour créer une matière qui a besoin de murir. Et au-delà de la matière il faut ensuite être capable de développer un personnage.

TG : la musique et la danse, c’est une matière, un vecteur d’émotions qui vont nourrir les personnages ou un propos. On s’interdit d’utiliser trop les paroles pour laisser résonner les corps et on s’attache à des situations très visuelles. Dans Solonely, il y a ces deux pièces, il peut s’agir de deux chambres ou de deux cellules de prison, le spectateur peut choisir même si on lui suggère un environnement visuel.

CR : on aime que le spectateur puisse avoir plusieurs lectures possibles qu’il puisse se faire sa propre histoire.

TG : cependant, on ne le laisse pas dans le vague total, finalement on l’emmène où l’on veut.

Vous travaillez beaucoup la porosité entre les champs artistiques, vous basculez de l’état de danseur à celui de musicien et tout est très incorporé. Le spectateur ne peut que rarement voir qui est danseur et qui est musicien, est-ce aussi une signature de la compagnie ?

Extrait d’Echoa.

TG : la porosité, oui, c’est une belle définition de notre travail. Dans la compagnie il n’y a aucun musicien qui n’a pas conscience de son corps. Pour nous, c’est très complémentaire.

CR : on va chercher chez les interprètes la capacité technique, la disponibilité pour mettre cela en œuvre mais aussi la motivation de travailler sur cette porosité. C’est dur, le travail est souvent très intense mais le résultat est là.

TG : il y a aussi un vrai travail de « digestion ». Souvent les premières répétitions semblent très fragiles, laborieuses, voire décourageantes pour les interprètes puis tout cela s’intègre et il y a un lâcher-prise qui permet de commencer à travailler sur les intentions et à oublier qu’on est danseur ou musicien.

CR : c’est aussi un travail permanent d’adaptation de Thomas et moi en fonction de la corporéité ou des capacités des interprètes sauf pour Solonely

Solonely, Cie Arcosm, crédit photo J-C Bruet, Arcosm tous droits réservés

Justement pour Solonely vous remontez tous les deux sur scène, après une longue pause, pourquoi cette envie à nouveau ?

TG : c’était un challenge, après deux pièces où nous n’y étions, l’envie profonde d’être sur scène est venue. Cela nous a permis de nous re-rencontrer avec Camille. Pour moi c’est une nouvelle ère qui lance quelque chose de neuf. J’ai remis toute ma gestuelle en question, j’ai aussi envie de travailler avec certains danseurs, j’ai l’impression d’être plus pointilleux, j’ai envie d’aller plus loin dans la danse. Par ailleurs travailler avec Camille, c’est un plaisir parce qu’on se connaît bien et qu’on peut aller très vite dans la construction de la pièce.

CR : sans l’avoir trop analysé, l’envie était là et on savait qu’on pouvait aller loin dans les essais pour explorer une nouvelle matière, on avait envie d’une vraie scénographie à apprivoiser parce que le décor est presque un troisième personnage. Et puis le plaisir, c’est un très bon moteur.

Il y a une véritable prise de risque, physique, mais aussi scénographique dans Solonely, ce partage de la scène en deux lié au discours porté par le spectacle peut paraître extrêmement austère. Il y a ensuite ce jeu de transformations qui bascule comme dans le décor.

Solonely, Thomas Guerry/Camille Rocailleux, crédit photo J-C Bruet, Cie Arcosm tous droits réservés.

TG : oui, on charge le début pour qu’à la fin, même nous, soyons heureux de nous retrouver. C’est un peu la magie de la création, il y a des choses qu’on ne contrôle pas. Avec Camille, on se fait de plus en plus confiance. Autant pour Echoa, notre première pièce, on n’arrêtait pas de se poser des questions. L’idée première c’était cette batterie éclatée qui serait le sas d’un danseur et d’un musicien qui en passant par là se perdraient dans les coups et au fur et à mesure il y a de moins en moins de coups, de plus en plus de silence et de plus en plus de mouvements.

CR : pour rebondir sur cette idée de prise de risque, on nous a souvent dit que l’on sentait une mise en danger dans Solonely, et j’ai l’impression que c’est effectivement ce qu’on voulait dans la mesure où c’est proche de nos vies, de la maturité que l’on acquiert en avançant en âge aussi. On est un peu comme ça dans la vie, dès qu’on sent qu’on s’installe, on casse et on préfère redécouvrir, repartir à nu. Et la vie c’est ça, c’est le chaos, le déséquilibre, c’est rebondir. Quand on se pose et qu’on maîtrise tout on n’a plus qu’à attendre la mort. Donc oui, on aime ça cette mise en danger parce que le spectacle vivant c’est aussi laisser la place à l’imprévu.

Traverse autre spectacle d’Arcosm.

Et les projets ?

TG : on est en pleine réflexion sur le prochain projet qui verra le jour en novembre. On est parti sur le postulat de l’échec ou plutôt comment celui-ci nous permet de réfléchir, de prendre des chemins de traverse, de se poser des questions qui ne nous auraient même pas effleurés.

CR : l’échec non comme une impasse mais comme une autre voie. Et puis parce qu’on a aussi beaucoup traversé cela en création, des ratés il y en a eu, ils ont aussi écrit notre vocabulaire parce qu’ils nous repoussent dans nos retranchements.

Comme dans la vie…

CR : il y a aussi cela, de même que la solitude est un sujet qui nous touche, dans la vraie vie on sent bien que l’échec est socialement très difficile à supporter, qu’il y a  une forme de tabou sur la mise en échec des individus et on souhaite poser un autre regard dessus.

Cet autre regard a donné Bounce, un spectacle adressé au jeune public mais pas seulement…

Bounce, l’échec positivé, réhabilité, par les rebondissements qu’il suscite, par le jaillissement de l’imaginaire qu’il provoque. La réhabilitation des loosers en héros du quotidien, une jolie philosophie de vie !

Bounce, Cie Arcosm, crédit photo Arcosm tous droits réservés.

Où et quand voir Bounce ?

Première nationale :

Le Dôme Théâtre – Albertville (73)

jeudi 14 novembre 2013 à 14h30
jeudi 14 novembre 2013 à 20h30
vendredi 15 novembre 2013 à 10h

Et tous les autres spectacles d’Arcosm en tournée à retrouver sur le site de la compagnie.

Image de Une, Bounce, crédit photo Arcosm, tous droits réservés.

 

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