Parcours d’artiste : Charlotte Audureau
Charlotte Audureau n’est pas chorégraphe, ni danseuse interprète pour une compagnie, cependant elle a établi une proximité sensible avec la danse en la photographiant… qu’il s’agisse de suivre les danseurs du CND d’Angers ou ceux de différentes compagnies ou encore à travers la réalisation de ses deux séries, Dolor et Transe qui ensemble forment l’exposition États d’âme actuellement accueillie à la MC2 de Grenoble où nous avons rencontré l’artiste.
Interrogée sur ce concept de la série Charlotte Audureau explique que ce format lui permet d’approfondir un sujet, en amont elle s’applique à un gros travail de documentation qui lui permet de l’apprivoiser, pour elle chaque série est comme une étape de vie, une façon d’appréhender un ressenti ou de le dépasser, de laisser des traces et des empreintes mémorielles. Une sédimentation de sa propre compréhension d’un processus de création. Avec beaucoup de sincérité, elle nous a livré son cheminement pour Dolor et Transe.
Dolor s’imposait comme une nécessité vitale pour dépasser une douleur récurrente dont elle souffrait et ne parvenait pas à se défaire et un constat : il est quasi impossible de partager sa douleur au-delà de la plainte… À l’époque Charlotte suit des danseurs professionnels, ceux du CND d’Angers dont elle admire la technique et le professionnalisme, ou ceux d’autres compagnies. Pendant plusieurs années à leur contact, elle observe de manière lointaine ou plus intimement leur gestion de la douleur…le plus souvent non avouée. Limites que l’on dépasse, incapacité de dire et de laisser voir le corps blessé. Elle s’interroge sur ce paradoxe, comment des professionnels du corps, comment des artistes sensibles dont le corps est le médium peuvent-ils à ce point vivre avec leurs propres blessures…prenant le risque de les aggraver ? Exprimer la douleur pour un danseur est un sujet tabou, le dire s’apparente à une fragilité, une vulnérabilité impossible à assumer lorsque sur scène le corps doit performer. Le corps du danseur doit être un modèle envié de virtuosité, de rigueur ou capable des plus folles extravagances acrobatiques. C’est un corps idéalisé aux capacités illimitées, fort, souple, extraordinaire, le nec plus ultra étant de donner à voir une facilité d’exécution, une fluidité dans le mouvement lors des chorégraphies les plus périlleuses ou les plus tendues. Transcender la douleur par la beauté…quelque soit l’esthétique demandée par le chorégraphe et continuer quoi qu’il en coûte.
On comprendra que dans ces conditions le travail de la photographe a été quelque peu difficile, il lui fallait trouver des danseurs acceptant de parler de leur blessures et ayant gardé les examens médicaux afférents…puisque Charlotte se livre dans Dolor a un travail de dévoilement, elle rend visible les blessures internes des danseurs en superposant sur leur corps le cliché médical de leurs blessures… tant de souffrance sous tant de beauté plastique. Plusieurs mois seront nécessaires pour mener à bien cette série de 8 photos, chaque personne participe à une session individuelle qui prend le temps de la discussion et de la réflexion. Une captation audio est aussi réalisée libérant la parole des danseurs, je vous invite à l’écouter ici, elle complète avec justesse et humanité les clichés. Dolor révèle une intimité insoupçonnée, elle capture une parole qui se livre sans filtre ou retenue.
Cette libération, ce lâcher prise Charlotte Audureau va l’expérimenter d’une autre façon avec Transe, constatant qu’elle photographie les danseurs de façon instinctive, que ce qui l’intéresse c’est “l’entre” des mouvements, les pauses, les respirations, la capture des états de corps notamment dans le lâcher prise et les états de conscience modifiée, elle étudie ce sujet, particulièrement les états de transe et les chemins qui y conduisent. Au cours de son processus de création, elle se documente, rencontre Fouad Boussouf qui expérimente les techniques de transe avec ses danseurs et l’aide à comprendre ce sujet complexe. À l’issue de toutes ses recherches, Charlotte propose à quatre amies danseuses de participer à un unique workshop sur une journée où danseuses, percussionniste live et photographe partageraient un espace commun d’expérimentation.
L’artiste parle de triangle d’énergie qui se crée entre les participants, au point qu’elle se sent totalement embarquée dans l’expérience prenant des photos dans un flot quasi continu. Initiatrice du projet, elle est aussi un partenaire du trio formé par la danse, la musique, la photo. Elle avoue que cette série a sans doute eu la post-production la plus longue de tous ces travaux. Pratiquement 8 mois lui seront nécessaires pour choisir les photos qu’elle redécouvre comme si elle ne se souvenait pas vraiment de les avoir prises…bel exemple de lâcher prise !
Quand on lui demande pourquoi elle travaille beaucoup avec des danseurs, Charlotte Audureau confie qu’elle partage leur sensibilité au monde, qu’ils la ramènent à l’essence de ce que l’on est, qu’ils sont sincères, authentiques, sensibles et sensoriels.
Puis elle précise son champ d’intérêt, elle avoue que ce qui la fascine c’est de capturer le présent, de figer un mouvement avec de l’émotion, qu’importe qu’il s’agisse du corps d’un danseur, des racines d’un arbre, des mains d’un artisan ou des nuages du ciel, Charlotte dresse poétiquement des états de lieux, de corps ou d’âmes, laissant les empreintes d’un présent qu’elle ancre aussi à travers les mots qui accompagnent ses clichés. Ainsi le présent devient mémoire !
En savoir plus sur Charlotte Audureau c’est ici !
À voir l’exposition États d’âme : Dolor et Transe, hall de la MC2 de Grenoble jusqu’au 9 avril 2020.
Image de Une, portrait de Charlotte Audureau crédit photo Charlotte Audureau.
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