Quand la pub mène la danse

Ce n’est plus un secret, la danse fait vendre. On la voit partout dans les publicités : classique, hip-hop, contemporain, le langage du corps semble être un ressort efficace pour faire passer un message publicitaire, au même titre qu’un bon vieux slogan.

Une action (dansée) vaudrait-elle mille mots ?

Comment expliquer cet engouement des publicitaires pour un art muet ? Serait-ce l’ « effet Black Swan », de « remise à la mode » de cet art ? Dès 1986, le réalisateur de films publicitaires Jean-Paul Goude avait surpris le public en mettant en scène un opéra rock déjanté pour vanter les mérites d’un service postal pourtant sclérosé. Quelle efficacité : tous les téléspectateurs de cette génération se souviennent du slogan ‘Bougez avec la Poste’. Le parallèle entre le message publicitaire et le choix du médium de la danse est alors limpide : le mouvement dansé illustre la vitalité souhaitée par la marque La Poste.

La tendance a été relancée par Air France en 2011, qui nous proposait de rêver de voyage grâce au délectable Benjamin Millepied – chorégraphe du film Black Swan et futur directeur de l’Opéra de Paris – dans son interprétation de l’ « Envol », du chorégraphe Angelin Preljocaj. Beauté du geste et de l’interprétation des danseurs, porté mythique, les émotions du spectateur face à la danse sont mise à profit de l’image d’une marque souhaitant véhiculer des messages d’évasion et de volupté.

Publicité « L’Envol » d’Air France

Pour décrypter les raisons qui poussent les publicitaires à se tourner vers cet art, nous avons interrogé Tho Van Tran directeur de l’agence Air Paris qui réalise les campagnes de publicité pour Longchamp. Depuis trois ans la célèbre marque de maroquinerie a choisi la danse pour incarner son message de marque : « Le mouvement créateur »… Longchamp fut même partenaire de la très belle et rare exposition au Centre Pompidou consacrée à la danse au XXe siècle « Danser sa vie » (2012).

La campagne de Printemps 2013 s’appelle « You should be dancing », regardez d’abord… Puis découvrez comment la danse peut (aussi) devenir une stratégie marketing…

Qu’est ce qui a motivé votre choix de vous tourner vers la danse pour la campagne de pub Longchamp ?

TV.T: Cela fait trois saisons que mon agence travaille pour Longchamp, la campagne « You should be dancing » est la troisième. Dès le début, on voulait que la stratégie de la marque s’inscrive dans le mouvement pour une raison simple : quand vous regardez le logo Longchamp le cheval est en plein galop (en comparaison à d’autres marques où le cheval est statique). On pensait donc que c’était plus juste de montrer une marque qui ait une dynamique.

Campagne « You should be dancing » – Copyright Longchamp

Associer Longchamp à la danse permettait d’exprimer la dynamique de la marque ?

TV.T: Oui, mais ce n’était pas si évident que cela. On peut exprimer le mouvement par tout et n’importe quoi. On peut montrer des gens en train de courir par exemple. La danse était plus juste car c’est d’abord une discipline, et d’une certaine manière je voyais beaucoup de parallèle avec le métier de Longchamp : la fabrication de sacs. Cela nécessite beaucoup de maîtrise, de discipline, on travaille sur des prototypes de la même manière qu’on cherche dans la danse des mouvements, ou comment raconter une histoire avec les mouvements, je trouvais que c’était assez juste.

A partir de là, il a fallu trouver quelle danse on allait utiliser…

Copyright Longchamp

Vous avez choisi de faire danser des mannequins et non pas des danseurs professionnels, pourquoi ?

TV.T: Lorsqu’on a décidé que le territoire de la marque Longchamp était la danse, je me suis mis en quête d’un photographe qui pouvait réaliser cela de la meilleure façon. La première campagne a été shootée par le photographe Dane Shitagi. C’est un photographe d’art qui shoote des danseuses du New York City Ballet, non pas en studio, mais dans la ville de New York (à l’origine du Balleria Project, ndlr). Il travaille sur cette opposition entre la grâce, la fluidité d’un côté et la dureté d’une ville comme New York.

Copyright Dane Shitagi

Et je ne voulais pas non plus utiliser la danse classique parce que je pense que ce n’était pas juste par rapport au profil de la femme moderne, urbaine, qui aime la mode, qu’incarne la marque Longchamp. En revanche, je pense que tout le monde aime danser, aime bouger. Il a donc fallu trouver une danse qui soit un peu plus simple, un peu plus facile et naturelle.

Copyright Longchamp

D’où votre choix pour la chorégraphe Blanca Li ?

TV.T: Oui je trouvais qu’elle avait une « patte » assez juste par rapport à ce qu’on pourrait appeler le « street », une certaine forme de danse qui correspondait à l’énergie que je cherchais. Nous avons fait deux films avec Blanca Li. Elle était à la fois réalisatrice et chorégraphe et par la suite on a fait appel à Salim Gauwloos qui est basé à New York et qui a beaucoup dansé pour Madonna.

Et puis on a cherché une chanson que tout le monde connaît, même si c’est un peu passé, mais qui est quand même devenue un classique : You should be dancing. Le vrai message de cette publicité, c’est le constat que dans un monde devenu extrêmement sécuritaire, il faut donner un peu de légèreté. Ca ne va pas plus loin que ça : on voulait juste donner comme un petit élan d’oxygène.

Making of de la campagne 2013 avec le chorégraphe Salim Gauwloos. Copyright Longchamp

En parlant de message, la danse étant un langage sans parole, n’est-ce pas un vrai challenge de faire appel à cette forme d’art pour faire passer un message ?

TV.T: Personnellement j’adore la danse, je suis d’une autre génération où la danse était très engageante, très politique. Je trouve que dans notre société on laisse très peu de place à l’expression corporelle. Ce que les américains appellent le « body langage » est souvent utilisé de manière peu sympathique, pour juger quelqu’un. Ici on n’est pas dans le body langage, on va beaucoup plus loin, on est dans l’expression corporelle. Je crois qu’on a envie de redécouvrir le corps en mouvement comme une autre forme d’expression de soi. Aujourd’hui les gens parlent beaucoup, sont obsédés par la « fashion », les gens twittent, passent leur temps sur facebook, comme si tout cela était une forme d’expression. Pour moi ce qui manque c’est une forme d’expression physique. Je pense à des films comme Fame, où il y avait une telle énergie, c’était optimiste, positif, sans prétentions.

Les films Longchamp n’ont pas vocation à être des cris ou revendications, ils représentent une invitation à vous exprimer d’une manière corporelle plutôt que à travers les mots, à travers les signes sociétaux, à travers un rouge à lèvre ou une voiture.

Copyright Longchamp

On voit qu’il y existe une vraie tendance dans la publicité utilisant la danse – qu’on peut dater peut être à la publicité « l’Envol » d’Air France, comment éviter la redondance avec d’autres marques lorsqu’on choisi la danse ?

TV.T: Chronologiquement, nous avons utilisé la danse avant Air France. Mais à part ça, non je ne pense pas : c’est comme si on disait « il y a plein de pubs avec des chiens qui courent, ou des bébés, donc on ne fait plus de pubs avec ça ». Le plus difficile en tant que publicitaire c’est de trouver l’expression, la danse qui corresponde à la marque. Par exemple, la publicité Air France avec Benjamin Millepied c’est une expression très interne, qui ne correspond pas à ce que nous faisons chez Longchamp, nous sommes plus dans l’explosion, la jouissance. A l’intérieur de la danse, il y a plein de formes différentes et surtout beaucoup d’émotions différentes. C’est un peu sans fin. Mais le choix se fait à partir du moment où ce que vous voulez communiquer est clair.

Copyright Longchamp

Aujourd’hui, les marques passent beaucoup par le digital et la dernière campagne Longchamp est exclusivement sur internet : pensez-vous que la danse est un bon ressort de viralité ?

TV.T: Oui, c’est à la fois la danse et la musique. D’ailleurs si l’on regarde les visites sur Youtube pour les trois films le dernier en est à 1 million 8, mais c’est aussi grâce aux Bee Gees. Quand on danse il faut absolument avoir une musique avec, ou un rythme ou un tempo, ça aide énormément la pub. Je pense que c’est vraiment ça, la danse plus la musique, plus la mannequin Coco Rocha évidemment, qui crée à elle seule le buzz !

Avez-vous beaucoup de demandes de clients pour des publicité dansées?

Le principe des clients c’est qu’ils n’aiment pas aller sur le territoire des concurrents. Longchamp s’est vraiment bâti sur le territoire de la danse, d’une certaine manière pour les autres marques c’est difficile de faire une communication sur la danse, ou alors il faut que ça soit une danse totalement intellectuelle, danse japonaise, du Butô n’importe, ou bien alors se tourner vers le sport, et l’on est déjà plus dans la danse. Donc non, je n’ai pas de demandes particulières, parce que justement on a fait exprès de bloquer le territoire de la danse pour Longchamp.

Campagne Oh ! My Bag – Copyright Longchamp

Pour finir Tho Van Tran nous signale que le 4e film Longchamp est en préparation en ce moment, tourné dans quelques jours à New York, il sortira à la rentrée.

Pour découvrir notre sélection des meilleures publicités dansées c’est par ici !

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